dimanche 3 septembre 2023

La belle naufragée, Gary Marshall, 1987


 Est-ce que ce film passe encore ? 


Résumé

Pour se venger de ne pas avoir été payé, un ouvrier profite de l’amnésie d’une millionnaire pour lui faire croire qu’ils sont mariés, l’obligeant à prendre soin de ses enfants et de sa maison.  



Réflexion personnelle

L’autre jour quelqu’un me disait que ce film ne passerait plus aujourd’hui: un homme kidnappant une femme et l’obligeant à torcher sa maison et ses enfants mal élevés, le tout en mode comédie romantique où l’amour triomphe de la tromperie. En effet, c’est  douteux.    



La structure classique du film n’aide en rien à sa moralité : l’homme traite en esclave une femme amnésique qui, malgré les doutes, prend au sérieux son rôle de mère et d’épouse fidèle, les deux tombent en amour, l’homme veut tout lui avouer, n’y arrive pas et au moment de le faire : sa famille la retrouve. Coup de théâtre et dilemme moral : la femme choisie de rester avec l’homme pauvre mais sincère plutôt qu’avec son mari millionnaire et infidèle.  



Bien sûr, le mari est exécrable et profite abondamment de la disparition de sa femme. Toutes considérations éthiques est évacuée par l’humour et les clichés. C’est une comédie drôle et sans prétention. Les deux acteurs tombés amoureux sur le plateau et toujours en couple aujourd’hui, livrent une performance bien sentie, la magie opère à l’écran. Le mélange d’humour et d’émotion est réussi, la transformation intérieure des personnages suit une courbe dramatique bien ponctuée. Bref, le film fonctionne.



C’est l'une des bonnes comédies des années 80. Gary Marshall réalisera par la suite Pretty Women qui bénéficie du même traitement. C’est d’ailleurs, à mon avis, ce qui fait leur charme : les deux films abordent des sujets difficiles en évacuant toutes formes de critique sociale, ce qui n’empêche pas les spectateurs de noter cette absence.


La belle naufrage est désormais un objet de nostalgie, qui plaira essentiellement à ceux et celles qui l’ont vu à l’époque. À 50 ans, je constate qu’il y a plusieurs films comme celui-là, que j’aime par nostalgie. Ils me servent de baromètre, à mesurer le temps qui passent et l’évolution des moeurs. Les films de mon adolescence sont des miroirs déformants dont j’apprécie le reflet tordu. 



vendredi 1 septembre 2023

France, Bruno Dumont, 2021


Résumé

Suite à un accident mineur, sans conséquence pour sa carrière, une journaliste vedette sombre dans une profonde crise existentielle qui bouleverse le cours de son existence.  



Critique 

Malgré son titre ambigu et ses raccourcis narratifs, France m’a ému du début à la fin. Il est question ici de la fragilité qui se manifeste chez une personne, de la confiance en soi qui s’effondre sans raison apparente. L’héroïne est au sommet de carrière quand un accident banal rouvre un mal profond et que sa vie déraille. 



Sous le couvert d’une critique des médias, le réalisateur Bruno Dumont cherche à comprendre ce qui se passe quand une personne craque. La structure suit cette trajectoire et non la carrière d’une journaliste qui tombe et se relève à l’antenne. La deuxième partie du film nous échappe si on le regarde dans cette perspective. C’est à la fois son coup de maître et son talon d’Achille, le long-métrage se disloque au fil du récit. Oui l’héroïne remonte la pente mais dès lors, tout s’acharne contre elle, même le montage. 



Je ne suis pas fan de Lea Seydoux d’habitude, mais force est d’admette qu’elle livre une performance exceptionnelle, exprimant toute une gamme d’émotions, souvent dans la même scène. J’hésite à affirmer que c’est un grand film, je peux seulement vous dire que j’ai ému du début à la fin.   

4/5



4/5

lundi 21 août 2023

Les hommes de ma mère, Anik Jean, 2023


Résumé

Une jeune trentenaire mal dans sa peau doit contacter les 5 ex-maris de sa mère défunte pour les  inviter à disperser ses cendres dans un endroit de leur choix et en sa présence. 




Critique

La bande-annonce ne m’inspirait pas confiance. Je m’attendais à un film à sketchs un peu mélo.  J’avais tort ! Le film d’Anik Jean est solide, bien construit avec des interprétations de très haut calibre. La magie opère en grande partie grâce à Léane Labrèche-Dor. Son personnage est porté par des motivations qui ne lui appartiennent pas forcément et ce rapport ambigüe avec elle-même s’imprime en clair-obscur sur le visage de la comédienne. Ses répliques souvent abrégées nous touchent droit au coeur. C’est à coup sûr l’une des plus belles performances de l’année. 




L’ambiance est particulière et le non-dit occupe une place importante. Avoir 5 beaux-pères impliquent une vie mouvementée et comme la mère vient de décédée et qu’on évoque surtout les bons souvenirs, les acteurs n’ont que leur visage pour révéler la face cachée de leur mariage raté. Benoit Gouin est celui qui m’a le plus ému. Propriétaire de bar un peu paumée, il compense son manque d’éducation par une authenticité émouvante. On comprend pourquoi Anne l’avait épousé. Les personnages sonnent vrais, leur amertume en devient belle et les comédiens arrivent à nous émouvoir, souvent dans des moments de silence. 




L’autre force du film réside dans sa structure. Les 5 rencontres sont morcelées à travers le quotidien d’Elsie qui a d’autres chats à fouetter. Si son histoire d’amour avec  Gaby (Jean-Simon Leduc) semble un peu plaquée, elle module bien l’évolution psychologique du personnage confronté subitement à ses vraies motivations. Il est beaucoup question du pardon et au lieu de verbaliser la chose, l’apaisement provient plutôt de la manière dont les histoires se recoupent. À mesure que les personnages se dévoilent, nous ressentons avec Elsie cette bienveillance que nous inspire  souvent le passé douloureux des gens qui nous entoure.  




Les films qui repose sur de grandes performances nous font parfois oublier le travail des artisans. Il faut souligner la réalisation d’Anik Jean qui filme ses comédiens avec une tendresse évidente, captant la lumière de leur jeu. Le scénario de Maryse Latendresse brille par son authenticité. J’avais vu le film Stealing Home (1988) sur le même sujet, je m’attendais à quelque chose de similaire : honnête sans plus. Loin des clichés hollywoodiens, Les hommes de ma mère éveille en nous un profond sentiment d’appartenance, peut-être parce que c’est une oeuvre québécoise, mais surtout parce que le film touche à quelque chose d’essentiel.  4/5. 





 The thing, John Carpenter, 1982



La l’effroyable Chose a-t-elle une personnalité ?


Résumé

En Antarctique, les membres d’une station scientifiques sont confrontés à une créature polymorphe dont les mutations effroyables peuvent imiter toutes formes de vies. 




Commentaires

Sorti en 1982, The Thing de John Carpenter repoussait les limites de l’horreur. Sa Chose était un extra-terrestre sans visage ni forme particulière, mais si hideuse et sanglante que l’imagination du spectateur ne savait plus où donner de la tête. Allez savoir pourquoi, en revoyant le film pour une énième fois, je me suis intéressé au sort de la créature, allant jusqu’à me demander si elle avait sa propre personnalité. Il m’a toujours semblé que oui. 




La créature de Carpenter entre dans la catégorie des Body Snatchers, des extra-terrestres capables de prendre forme humaine. En 1978, L’évasion des profanateurs de tombes de Philip Kaufman faisait sensation : Donald Sutherland assiste impuissant à l’assimilation complète de San Francisco en quelques jours. Ici, pas de gore et très peu de violence. Tout est aseptisé,  les mutations se font hors-champ, durant le sommeil. Au petit matin, votre voisin sort de chez lui comme d’habitude, seuls ses proches le trouve un peu bizarre, il n’a plus d’émotions, il les imite.  Notons que les deux films sont des remakes, donc des imitations, mais passons.




John Carpenter fait le pari contraire. Rien n’est aseptisé. Sa créature est hideuse, sans forme précise, d’où son qualificatif de La Chose. Ses mutations génétiques sont horribles, mais suffisamment créatives pour faire sourire le spectateur (qu’on pense à la tête humaine avec des pattes d’araignée ou la cage thoracique se muant en mâchoire), ces images-chocs ont pour fonction d’amuser les cinéphiles en quête de gore. Pas question d’assister à une assimilation  discrète, la créature de Carpenter est grossière et violente, ses imitations sont vites démasquées, le jeu ici consiste à repousser les limites de la difformité. Et qui dit difformité dit souffrance.




Nous sommes en présence d’un polymorphe en mutation constante. C’est d’ailleurs sa principale faiblesse : ses imitations, parfaites en apparences, s’avèrent instables. La créature peine à survivre. Les Norvégiens ont failli l’avoir et les Américains lui en font baver. Elle est hideuse certes, mais vulnérable. On l’entend crier à plusieurs reprises. Outre l’effet dramatique, ces complaintes synthétiques, jubilatoire pour le spectateur, évoquent le désespoir. Ce n’est plus le communisme qu’elle représente comme ses prédécesseurs, mais la barbarie à l’état pur, l’anarchie, notre soif de bains de sang. 




The thing est un croisement entre Alien, Body Snatchers et le Loup-garou de Londres, des films à succès à la fin des années 70 qui ouvraient la voie aux créatures polymorphes et aux transformations spectaculaires. Carpenter ne se contente pas de multiplier les effets gores, il donne à sa Chose un destin tragique, elle souffre, elle a peur et toutes ses imitations finissent au lance-flamme. Le combat est épique, chaque vie perdue déclenche une riposte immédiate très satisfaisante pour le spectateur.  Les images évoquées auraient pu devenir risibles, Carpenter frôle le grotesque, mais l’évite en développant une réflexion sous-jacente sur les mécanismes du gore. Notons qu’avec les effets spéciaux de 1982, c’est un véritable exploit. 

4.8/5  





 Jaws 2, Jeannot Szwarc, 1978

Dans les bottes d’un grand. 



Résumé

Alors que la communauté d’Amity, à l’exception du chef Brody, semble avoir oublié la première attaque de squale, un nouveau grand requin blanc sème la terreur dans ses eaux. 



Commentaires

Chaussé les bottes de Spielberg n’était pas une mince affaire : méga-succès au Box Office, acclamé pour sa mise en scène, le premier Jaws 2 était un classique instantané dont la suite ne pouvait que décevoir. Aucun challenger digne de ce nom n’allait se mesurer au nouveau champion de monde, seul un tâcheron de troisième zone oserait monter sur le ring et tenir la distance, un français en l’occurence, Jeannot Szwarc, qui succédait à John D. Hancock, un autre tâcheron mis K.O au premier rond. Szwarc sait qu’il ne pourra pas battre Spielberg sur son propre terrain, mais se promet d’aller jusqu’au bout et de ne pas perdre la face. 




La logique aurait voulu qu’on déplace l’action dans une autre localité, avec de nouveaux personnages. Mais pourquoi changer une formule gagnante ? À défaut d’avoir Spielberg, reprenons tout le reste : acteurs, décor, musique, photo, montage et surtout l’humour. Hancock est  congédié parce qu’il n’arrive pas à reproduire cette ambiance somme toute légère du premier film. Ce sont les jeunes qui remplissent cette fonction dans deuxième volet. La structure reste la même : les premières attaques sont ignorées, le maire fait la sourde oreilles et la dernière partie du récit se passe en haute-mer. Coté mise en scène, Szwarc reprend les poncifs du premier film: créer l’anticipation musique à l’appuie. Bref, il tient la distance. 




J’aime Jaws 2, peut-être parce que je l’ai vu avant le premier et que pour moi, c’est lui l’original. Lequel est le meilleur ? Le premier bien sûr ! Mais c’est le deuxième que j’ai revu le plus souvent. Les attaques de requins sont plus spectaculaires tout en respectant les règles édictées par Spielberg. Même la scène de l’hélicoptère fonctionne bien parce que l’attaque est filmée du cockpit et la présence du requin s’incarne à travers l’eau qui envahit l’habitacle.  La photographie de Michael Butler et la musique de John William assurent la continuité, mais il faut admettre que Jeannot Szwarc fait du bon boulot.  




Il y a beaucoup de suite que je préfère à l’original sans qu’elles le méritent. J’ai vécu l’essentiel de ma jeunesse dans les années 80 et 90. J’adorais le cinéma hollywoodien et la surenchère des blockbusters d’un été à l’autre. Jaws 2 est sorti 1978, les suites étaient plutôt rares à l’époque, Rocky 2 suivra un an plus tard. L’année précédente, Spielberg sortait Rencontre du troisième type, confirmant son statut de génie du cinéma. J’imagine le petit français, assis dans sa chaise de réalisateur, et attendant le son de la cloche pour tourner son premier coup de manivelle. 





 Un autre 48h, Walter Hill, 1990


Résumé

En découvrant sur un suspect la photo de Ritchie (Eddy Murphy), l’inspecteur Cates (Nick Nolte) va le cueillir à sa sortie de prison pour lui demander son aide à résoudre une nouvelle enquête.  




Critique

Humour, action et percussions jazzy à la James Horner, voilà le style Walter Hill qui plane sur  toutes les années 80. Pourquoi ne pas parler du premier film, emblématique, qui lançait la carrière d’Eddy Murphy et la mode des comédies policières ? Parce qu’une décennie plus tard, la formule a été repris à outrance, entre autre par L’arme fatale 2 l’année précédente, le film surfe sur une déferlante de sequels, la carrière d’Eddy Murphy s’essouffle,  Hill a donné le meilleur de lui-même et Die Hard a changé l’ADN du film d’action. Bref, la suite de 48h arrive quelques années trop tard.  




Cet été-là, la concurrence se nomme Total Recall, Die Hard 2 et Day of thunder. Le film de Hill sent le réchauffer en partant même si l’histoire s’imbrique bien, que les tueurs à motos évoquent les westerns de Leone et que les percussions jazzy d’Horner battent la mesure. Suite oblige, il y a plus d’action, plus d’humour et plus de morts.  En 1990, les body counts et la violence gratuite sont à la mode. La scène où Ritchie tire une balle dans la jambe d’un homme non armé, devant témoins, et sort du bar en faisant des blagues est typique de la banalisation de la violence qu’on voyait à l’écran. Vue aujourd’hui, la scène est choquante, mais à l’époque c’était de l’humour assez banale. 




35 ans + tard,  ce second volet a étrangement bien vieillie : nos deux gaillards ont de la réparti, le casting a de la gueule, la patte de Walter Hill se démarque et la musique de James Horner nous rappelle de bons souvenirs. On le regarde en sachant que la carrière d’Eddy Murphy va sombrer, que Walter Hill fera parler de lui surtout en tant que producteur teigneux de la franchise Alien et que James Horner changera drastiquement de style musical. Nick Nolte, pour sa part, s’oriente vers des rôles plus dramatiques et se mérite des nominations aux oscars. C’est lui d’ailleurs qui crève l’écran dans ce deuxième volet.  3/5




 Joho Rabbit, Taika Waititi, 2019


Résumé

Durant la 2e Guerre Mondiale, un jeune Allemand de 10 ans, nazi convaincu ayant Hitler comme ami imaginaire, est bouleversé d’apprendre que sa mère cache une juive dans leur maison. 




Critique

Entre deux Thor, Taika Waititi a poussé sa luck en adaptant le roman casse-gueule de Christine Neunens : Le ciel en cage, une farce décalée sur la deuxième guerre mondiale mettant en scène des enfants. Difficile de ne pas grincer des dents devant ces discours nazis, joliment détournés pour déclencher le rire sous une forme cartoonesque de bon aloi. Bien sûr, il s’agit d’une dénonciation en règle et l’humour ne nous épargne pas les horreurs de la guerre comme Roberto Benigni l’avait fait (en mieux) en 1997 avec La vie est belle. 




Dans les premières minutes, on voudrait crier au génie tellement l’humour atteint sa cible. Les scènes au camp de vacances des jeunesses hitlériennes sont tordantes, sauf que le rire vire lentement au sourire puis au rictus figé. Ce n’est pas que le film s’essouffle, l’inventivité demeure présente,  c’est juste qu’une fois la surprise passée l’humour devient cérébral, voire carrément puéril par moment. Le film reste beau visuellement, mais perd sa charge émotive au profit d’une démonstration de talent, le tout facilité par un budget confortable. L’ombre de Marvel plane d’ailleurs sur cette production où plusieurs noms associés à la franchise participent à l’aventure.  On sent la grosse machine derrière, ce qui contribue au malaise.




Ce n’est pas la première fois qu’un film nous montre un drame à travers les yeux d’un enfant, c’est un procédé délicat qui ne consiste pas seulement à jouer sur la naïveté. C’est un passage obligé vers l’âge adulte. Roberto Benigni en avait fait bon usage dans La vie est belle. D’une part, cela ne durait qu’un seul acte, le dernier, une finale qui mélangeait habilement rire et larmes. Dans Jojo, point de tristesse, même la mort d’un proche, filmé avec dignité certes, n’empêche pas la bouffonnerie de continuer, à peine éveille-t-elle une prise de conscience chez l’enfant. Il y a dans Jojo Rabbit un manque de délicatesse qui finit par agacer.  




Une partie de moi a adoré l’expérience, mais une autre avait hâte d’en finir. Contrairement au Grand Budapest Hotel de Wes Anderson dont il est le cousin germain, Jojo Rabbit évoque des évènements trop sombres pour revendiquer sa place au soleil, à classer parmi des oeuvres telles que Happiness de Todd Solondz, où le rire vient d’un malaise qu’on ne veut pas ressentir trop souvent. Nul doute que le film de Waititi inspire aux spectateurs une réflexion obligée sur la nature du rire : ce qui est drôle et ce qui ne l’est pas. Malheureusement pour lui, la réponse ne joue pas en sa faveur. Ça demeure un film à voir. 

3/5